Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard


Enard« La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher à l’aube ». Ainsi s’ouvre ce court roman surprenant et plein de poésie ! Qui aurait imaginé que le grand Michel-Ange avait fait cette escapade chez le Grand Turc et conçu un pont qui enjambe la Corne d’Or ?

Nous sommes en mai 1506, Michelangelo Buonarotti n’a pas encore trente ans mais son David fait de lui un sculpteur reconnu. Il reste encore trois ans avant qu’il ne commence à peindre le plafond de la chapelle Sixtine. Il travaille à l’édifice du tombeau de Jules II, pape escroc qui ne le paye pas et le traite par-dessus la jambe. Aussi quand le sultan Bayazid (Bajazet) lui offre de passer derrière Léonard de Vinci pour construire ce pont, il s’enfuit de Rome comme un voleur, bien décidé à faire fortune autrement et à humilier le vieux Léonard.

Nous assistons ici à la rencontre du jour et de la nuit, de l’Orient et de l’Occident, dans tout ce qu’il y a de plus tendre et de plus cruel. Michel-Ange ne parle pas la langue du pays, a un traducteur en permanence, il ne comprend pas ce monde musulman mais est troublé par les fastes des soirées données par Ali Pacha, le Vizir, par la poésie de celui qui sera son meilleur ami, le poète Mesihi tout en essayant de « voir » quelle forme aura ce pont qu’on attend de lui. Il n’est pas content d’être là Michel-Ange au départ, il se méfie, il sait la puissance des têtes couronnées, la perfidie et les intrigues des Cours, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs. Mais peu à peu, les jours passés à travailler comme un forcené sont remplacés par les nuits d’ivresse, de danse et de chants qu’il découvre pour la première fois. Et surtout il tombe sous le charme d’une danseuse androgyne dont les courbes parfaites envoûtent l’artiste qui ne dort jamais en lui. Il souffre d’éprouver un intérêt pour cette danseuse que personne ne regarde sauf lui.

Petit à petit, l’histoire des nuits de Michel-Ange à Constantinople prend le pas sur la construction du pont. Car c’est un artiste de génie qui reçoit cette culture étrange de plein fouet, il assimile tout ce qu’il voit, de la beauté de Sainte-Sophie aux mains douces de la belle andalouse qui partage certaines de ses nuits. Michel-Ange entend-il ce qu’elle lui murmure au plus noir de la nuit, quand les bracelets d’argent ont cessé de tinter ? Que restera-t-il de cette rencontre entre une orientale raffinée et un « Franc malodorant » (j’ai appris que Michel-Ange ne se lavait jamais !!!!) (ça refroidit)… Il écrivait tout le temps sur des carnets et par association d’idées. Il dessinait toujours, des bras, des muscles saillants, parfaits, des éléphants aussi, pour ses amis. Mais il  n’est pas vraiment sympathique, je l’ai même trouvé un peu « bourrin » dans cette Constantinople raffinée et décadente. Peut-être à cause de son éducation :  » C’est dans le dur regard de ses maîtres que se trouve le père de Michel-Ange. Dans leur dureté et leur rare tendresse. » (p. 134). Mais je ne vous dirais pas si le pont sur la Corne d’Or est bien de lui, il faudra lire ces 170 pages !

De cette histoire mystérieuse, on ne sait pas grand-chose sauf quelques éléments biographiques de la vie de l’artiste, rendant  tangible ce livre superbe. Mais on s’en moque un peu, on y croit de bout en bout malgré la musique triste qui s’en échappe. On se prend à rêver, on a envie que Michel-Ange qui ne se laisse pas aller à l’ivresse, qui garde toujours le contrôle le perde ici, qu’il baisse la garde et s’abandonne aux bras de la belle qui  embaume ses nuits en lui parlant d’amour, d’exils et de coeurs inconsolables. Mais on sait que les Dulcinéas sont autant de blessures pour un guerrier et c’est dans le repos de ce dernier qu’elles se consument. On peut leur parler de batailles, de rois et d’éléphants comme le disait Kipling mais on ne doit pas oublier de leur parler d’amour ajoutait-il…

138 critiques sur Babélio et une note de 3.53/5 sur499 notes.

Lectures ensemble-James Jebusa ShannonC’était une lecture commune avec Natiora qui a beaucoup aimé aussi j’ai cru comprendre, nous en avons parlé un peu par mails, je vais aller lire son billet  !

Il compte pour le Challenge « à Tous Prix »  puisqu’il a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens en 2011. Je le compte aussi pour le challenge « Animaux du monde » chez Sharon et pour le Challenge royal de Liliba puisqu’il y a le mot « rois »… Et le Challenge amoureux de l’Irrégulière dans la catégorie « amours impossibles ».

logo challenge à tous prixLogo-Sharon

challenge royal de lilibalogo challenge amoureux 3

64 réflexions au sujet de « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard »

    • Aifelle, surtout que 170 pages, ce serait dommage de passer à côté !!! 😉 Je comprends, surtout en ce moment où nos PAL engraissent malgré nos efforts de drainage ! 🙂

    • Sandrine, c’est le premier que je lis de lui, j’ai La perfection du tir dans ma PAL mais le sujet me tente moins ! Celui-ci se lit tout seul, Mathias Enard restitue à merveille la part historique et laisse filer son imagination pour le reste, magnifique !

  1. Je ne connaissais pas l’auteur ni le titre mais le sujet m’intéresse, j’espère le trouver à la mediatheque. Je file lire Natiora. Bon week – end 🙂

  2. Très beau billet qui rend hommage à la poésie du titre ! Bon, pour ma part, je l’avais trouvé insipide, mais c’est pas grave :p
    Bisoux et douce journée !

  3. Tu m’as replongée dans ce roman, c’est dingue comme tu en parles bien ! C’était une lecture envoûtante, magnifique, que je suis heureuse d’avoir partagée avec toi 🙂

  4. J’ai entendu parler de ce roman lors d’une émission littéraire. Si je n’ai jamais encore lu cet auteur, le sujet abordé m’intéresse beaucoup. Je pense que je le lirai prochainement.

  5. Encore un livre que j’ai prévu de lire… (je l’ai commencé) décidément je pioche de trop bonnes idées lectures sur ton blog (je suis en train de lire « elle, par bonheur et toujours nue, grâce à toi ) bisous !

  6. Je ne lis pas ton billet, je vais me décourager à écrire le mien après ma lecture ! J’ai ponctionné quelques phrases et je les trouve belles !!! Je vais le sortir…
    Bise

    • Lydia, je suis passée entre les gouttes de la pub, je ne sais pas si je bloguais à cette époque de 2011 mais je ne l’ai vu que récemment sur certains blogs et quand je l’ai vu à ma librairie, il y avait une promo Babel (deux achetés = 1 gratuit), comment veux-tu que je résiste ???? 😆 Cela dit je ne regrette pas …

  7. Merci Asphodèle, je rentre enchantée d’une semaine passée à Istanbul, où j’ai arpenté cette ville magnifique dans tous les sens et traversé ce pont chaque jour jusqu’à user la semelle de mes chaussures. Je vais me procurer ce livre très vite.

    • Patchcath, no problemo à Istanbul ?
      J’ose plus penser à passer des vacances dans ces pays un peu perturbés 😥
      J’ai une amie de classe qui revient du Maroc.
      Vous me faites drôlement envie 😆
      Bon we et bisous d’O.

      • Soène, c’est moins dangereux de passer une semaine en Turquie (surtout à Istanbul) que de se balader en plein coeur de Marseille, je te signale !!! 🙄 Tu vas pas devenir peureuse quand même ??? 😆

    • Patch, je garde un souvenir ému d’Istanbul, de Topkapi, de Sainte-Sophie et de la mer de Marmara. Et les turcs sont adorables ! Avec ce livre tu plongeras dans les délices raffinés de Constantinople-Byzance qui méritait bien son nom à l’époque !!! 🙂 Bon retour parmi nous !

  8. 170 pages pour un si long billet Miss Aspho 🙄
    Comme chez Mindounet, « joker » pour moi. Je n’ai pas le courage de lire tout ça. Je reviendrai la semaine prochaine 😆
    Bon dimanche sous le soleil et gros bisous d’O.

    • Liliba, moi aussi ça me l’a rappelé, ne manquait que des descriptions du Sérail et de Topkapi qui recèle tant de mystères et qui bruisse encore du rire de toutes ces odalisques ! 😉

  9. Tu en dis toute la poésie de ce livre que j’ai beaucoup aimé, comme toi pour le parfum des nuits de cette Constantinople que pourtant Michel Ange ne semble pas vraiment voir, l’histoire d’amour impossible, c’est peu-être entre la ville et l’artiste … J’ai lu aussi du même auteur « La perfection du tir », bien écrit et rien à voir, fort peu poétique. Je n’ai jamais tenté « Zone » par contre et me suis sentie un peu flouée par le texte de « Tout sera oublié », un album graphique en collaboration avec Pierre Marquès, dont les illustrations sont sublimes, par contre.

    • Athalie, j’ai eu Perfection du Tir en cadeau quand j’ai acheté celui-ci, j’ai voulu feuilleter mais le sujet ne me branche pas vraiment pour le moment, surtout après celui-ci que j’ai trouvé magistral : nous dire tout ça en si peu de pages et si bien, c’est très fort ! Et les Bd je n’en achète pas, donc je ne risque pas de me sentir flouée !!! 😆

  10. Il est très beau ton billet, ça donne très très envie. J’adore l’idée que tu aies trouvé Michel Ange « bourrin » au milieu du raffinement oriental. En plus la première de couv est splendide.

    • Galéa, merci ! C’est sûr qu’ici Michel-Ange, malgré son génie est complètement rustre par rapport à son environnement, de plus il reste tout le temps maître de lui, c’est agaçant !!! 😉

    • Margotte et au départ quand je l’ai acheté, je n’y ai pas fait attention du tout, c’est après mon billet, quand je prends mon cahier qui récapitule les challenges que je vois les catégories où il rentre ! 😉

  11. un billet que je survole seulement, ce livre m’attendant dans l’étagère de ma sœur, et que je dois lui emprunter 😉
    ça fait longtemps que je veux le lire !

    • So, mais ce n’est pas possible ce travail !!!! On te perd !!! J’ai hâte de te retrouver un peu, gros bisous♥ Pour ce livre, je te le mets de côté, il FAUT que tu le lises et en plus il est court ! Pour la remorque 2014 !!! 😆

  12. Bonjour Asphodèle, je l’avais beaucoup aimé ce roman, dépaysant en plus. Je ne reste pas longtemps sur ton blog, je participe au marathon de lecture de ce weekend. Bon weekend à toi !

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