Mais pourquoi là encore, ai-je attendu un an et demi pour ouvrir ce livre, dédicacé en prime, surtout quand c’est mon ami Mind The Gap, fan de Blondel qui me l’a offert ? Parfois, je ne me comprends pas… Il faut dire, est-ce nécessaire de le rappeler que 2014 a été erratique en tous points, mon rythme de lecture en a pâti, avec des capacités de concentration a minima et surtout pas d’envie. Or, j’aime que le livre « vienne » à moi et s’impose comme l’évidence à lire du moment. Ce qui a été fait en janvier dernier.
Jean-Philippe Blondel est pour moi, depuis la lecture de « Et Rester vivant« , un auteur qui compte, sensible, aussi drôle qu’il peut être triste mais dans les deux cas, sincère. Avec 6h41, j’ai découvert un « boy next-door », caustique, drôle, proche surtout, peignant l’âme humaine à la Monet, par petites touches discrètes au départ pour arriver à une fresque élaborée, colorée et évocatrice.
L’histoire :
C’est l’histoire d’un homme et d’une femme, Philippe Leduc et Cécile Duffaut (ce nom m’en a rappelé un autre, association d’idées sûrement), 47 ans tous les deux, originaires de la même bourgade de province, à 1 heure 30 en train de Paris, où ils ont passé leur enfance/adolescence. Mais ils ont surtout vécu une histoire (d’amour ?) pendant quatre mois qui s’est plutôt mal terminée, surtout pour Cécile…
Ce que j’ai trouvé très fort dans cette rencontre inopinée (prendre le train de 6h41 qui les ramène dans leur vie parisienne) c’est la crédibilité de ce hasard, car le hasard est souvent tiré par les cheveux en littérature : là c’est criant de vérité ! Comme tout le livre d’ailleurs. La rencontre improbable est parfaitement plausible, et quelle rencontre !
Ils font faire semblant de ne pas se reconnaître pour ne pas avoir à entamer une discussion mais comme le hasard les a placés côte à côte, ils vont s’observer en chiens de faïence tout le trajet et les chapitres alternent avec les réflexions de l’un et de l’autre. Sur ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils étaient vingt ans plus tôt : lui le beau gosse du lycée appelé à réussir et qui végète, divorcé amer un peu blasé, dans une vie tristounette avec ses bourrelets en trop. Elle, l’ingrate devenue belle, riche, chef d’entreprise d’une chaîne de produits de beauté bios et qui n’a pas digéré l’insulte faite par Philippe vingt ans plus tôt tout comme lui n’a pas pris la mesure de la blessure qu’il lui a laissée en cadeau de rupture. Malgré sa lucidité sur ce qu’il est devenu. « Elle était imprévisible. Ce n’était pas une qualité que j’avais souvent rencontrée. Elle était quelconque, mais elle avait un souffle. C’était rafraîchissant. C’est ignoble de raisonner comme ça. Je n’ai jamais prétendu être un ange… J’espère quand même que je me suis arrangé, avec le temps. » page 71.
Ou encore : » Je me souviens de la fin à Londres. Il ne faut pas croire. On pense avoir oublié mais on nage dans la plus pure hypocrisie. En fait, je suis persuadé que les gens ont une mémoire bien meilleure que ce qu’ils prétendent. » p.168-169.
Mais elle n’est pas en reste quand elle se remémore ce qu’il lui a fait, comment finalement cette histoire l’a aidée à devenir la femme qu’elle est et dont elle est plutôt fière : « Deux minutes pour souffler. Deux minutes pour changer de vie aussi. Et là, évidemment, j’ai pleuré. Je m’en suis voulu tout de suite. Je ne voulais pas être la caricature de la fille larguée qui craque. Je ne voulais pas ressembler à qui que ce soit. Ce que je souhaitais désormais, c’était de la dignité, du respect, de l’insolence, de la détermination.
J’en avais soupé de la fourmi. » p. 188.
C’est aussi une réflexion sur la mémoire, notre capacité à effacer « les fichiers » au fil du temps, à gommer ce qui nous dérange. Et puis le rythme du livre, soutenu, porté par une écriture limpide, on ne le lâche pas, on le lit presque en 1h30, le temps du trajet de nos deux comparses.
A la fin du voyage, vont-ils finir par échanger un mot ? Et surtout, peut-on réécrire l’histoire, pardonner quand on croit que les blessures d’adolescence sont indélébiles ? Lisez-le ! Vous le saurez !
Blondel, c’est s’identifier instantanément aux personnages, il sont si proches de nous finalement. C’est aussi se laisser bercer par la petite musique de l’intime, celle de nos pires lâchetés comme de nos grandes victoires. Il n’y a pas de super-héros ou de miracle avec cet auteur, juste la résultante de ce que nous avons fait de nos vies.Parce que si nous en sommes « là », c’est surtout à cause de nous ou…grâce à nous. Rien ne sert de chercher des coupables, notre conscience aurait tôt fait de nous rappeler à l’ordre…
Un coup de coeur pour ce livre, davantage que pour « Et rester vivant » qui était pourtant très beau, peut-être pour cette proximité criante de sincérité !
Et aussi une liste (non exhaustive) de billets chez : Mind The Gap (ancien blog OB), Galéa, Titine, Argali. Noukette. Yuko.
Il compte pour le challenge amoureux d‘Irrégulière dans la catégorie « Amours d’antan »…