Mademoiselle vit sa vie…


Ma deuxième participation au Jeu d’Eiluned , « Rendez-vous avec un mot » et le mot de la semaine était charmeur

Quand fleurissent les premiers marronniers sur les boulevards parisiens, quand tout le monde éternue en se frottant les yeux, Mademoiselle reprend goût à la vie. Elle peut enfin ouvrir le toit de son cabriolet et filer comme l’éclair aux soirées privées où sa présence suscite toujours des oh et des ah admiratifs. Elle n’en a cure, insoucieuse de cette image superficielle qu’elle renvoie ; l’ennui commence à s’insinuer dans ses veines…

Elle arrive au Florie’s sous les flashes crépitants des photographes postés ici et là, arborant pour eux machinalement le blanc parfaitement aligné de son sourire. Ce qui ne l’émeut plus depuis longtemps déjà. Elle sait la volatilité des images éphémères, elle sait l’éphémère des soirées où elle s’énivre. Et elle sait que les lendemains d’ivresse sont douloureux. Ses rêves et ses illusions noyés la nuit remontent à la surface au petit matin triste qui sonne l’heure d’un coucher solitaire. Le sommeil artificiel… encore une fuite en avant, oublier, toujours oublier. Ce qui devient vivace, lancinant et obsédant…

Où est-il Julien ? Sur quelles mers navigue-t-il encore ? Ses yeux d’aigue-marine plantés dans les siens, il lui avait promis en l’embrassant dans le cou, là où elle frissonne invariablement, de revenir après cette croisière sur un voilier dont il était un des skippers attitré et recherché. Enveloppée dans sa douceur blonde au goût d’iode, elle s’était accrochée à son cou jusqu’à ce qu’il monte la passerelle du trois-mâts. Ce départ lui avait sauté au coeur comme une évidence. Elle aimait. Il ne ressemblait à aucun des mâles aseptisés, armanisés et jet-lagués qu’elle croisait dans ces soirées, renvoyés à leur statut de cliché. Julien c’est un parfum de sel, de soleil qui s’attarde dans ses boucles blondes, une silhouette lointaine qu’elle veut rattraper avant que le temps ne l’envole. En fermant les yeux très fort et en croisant ses deux bras  sur sa poitrine, les jambes repliées sous elle comme un chaton assoupi, elle imagine l’étrave du bateau fendant les flots, Julien sur le pont torse nu, son corps hâlé tourné vers d’autres profondeurs toujours plus bleues, ses boucles délavées emmêlées par le vent, sa bouche comme un baiser courant sur les draps pour mieux défaire le lit…

Elle reposa sa coupe discrètement et s’éclipsa de la soirée. Elle ôta ses escarpins haut perchés, frotta ses pieds douloureux et conduisit longtemps sur les quais déserts , fixant parfois avec nostalgie les péniches éclairées qui se balançaient doucement. Dégrisée, elle laissa couler une larme sur son coeur prêt à rendre l’âme. Demain, oui demain, elle appellerait Air Amour et prendrait le premier vol pour nulle part. Elle l’attendrait là-bas, encore et toujours,  mettant son ego en bandoulière invisible pour mieux déployer ses ailes trop longtemps penchées sur l’absurdité du vide. Se souviendrait-il seulement d’elle ? Leur histoire avait pourtant commencé sur les quais d’un port quelques années plus tôt. Elle abandonnerait ses costumes factices,  désormais trop petits, de mondaine éthérée…Un charme sournois   la cernait toute entière ;  elle retint un sanglot qui n’en finissait plus d’étouffer sa mémoire aliénée…

15 réflexions au sujet de « Mademoiselle vit sa vie… »

  1. Dis-donc, tes héroïnes attendent…J’espère qu’un jour, l’un d’eux reviendra (je suis d’un naturel optimiste !). Très beau texte, encore et toujours, si triste…

    • En fait, c’est une Mademoiselle qui attendait déjà dans un Désir d’Histoires (donc quand on la connaît on sait pourquoi), je lui ai fait changer de décor, c’est tout, promis, la prochaine fois, elle meurt !!!^^

    • de rien, ça me fait plaisir ! Bon j’ai été un peu débordée et j’ai repris cette Mademoiselle qui sort d’un Désir d’Histoires mais j’ai changé le contexte ! Et j’ai noté colère pour la semaine prochaine ! Tu vois je t’avais dit que ça passait dans le Morvan !! 😉 Tu ne proposes pas de mot en B ?
      Je vais aller voir ton texte, je ne savais pas si tu le faisais ou pas cette semaine…

  2. Je rebondis sur le commentaire d’Edith et sur ta réponse… Je me souviens de cette femme. Mais tu ne vas pas la zigouiller ??? Fais-lui retrouver son pirate !

  3. comme d’habitude tu as une plume qui emporte,ravit,chavire..j’attends une suite …j’espere heureuse mais je ne suis pas tres optimiste(ce doit etre le moment qui veut ça)

    • Merciii ! C’est déjà une suite (faut le savoir) à un Désir d’histoires, je ne sais pas encore ce que je vais faire d’elle…et j’ai deux textes à écrire d’ici samedi et lundi !! Plus le reste, donc je vais bien trouver quelque chose d’ici là… J’espère ! Et mais dis donc tu peux participer aux Plumes de l’été si ça te tente !! ;)… Si ça te tente hein ! Je ne force personne… 😀

  4. Wahou, très riche en émotion et tu a parfaitement su nous transmettre cette ambiance autour du mot « charmeur » ! J’y ai trouvé une teinte de Pancol dans tes mots que j’ai beaucoup apprécier, même plus encore car ton texte est vivant. Encore une fois, chapeau ^^

  5. Ping : Mademoiselle se rebiffe ! |

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