Un été à quatre mains de Gaëlle Josse

Montage personnel.

Recevoir un nouveau livre de Gaëlle Josse est une joie intime qui m’assure un moment de lecture privilégié, entre art(s) musicaux, peinture, ses domaines de prédilection, style poétique mais aussi envolée de l’imaginaire à partir de recherches et de déductions absolument crédibles et infiniment possibles… Comme elle le dit dans son avant-lire : « Chaque histoire de vie, chaque destin possède ses trous noirs, ses terres d’obscurité et de silence, ses creux et ses replis. On devine parfois qu’ils « bourdonnent d’essentiel » comme l’écrivait René Char. On devine qu’en leur secret, derrière le rideau, se sont joués des moments décisifs, dont les harmoniques continuent à irradier la vie, longtemps après. » (page10).

Je connaissais Schubert, sa célèbre « Truite », « Rosamonde » car mon père nous berçait de classique mais de Franz je ne connaissais rien et ce fut une découverte surprenante.

Une toute petite partie des classiques qui ont bercé mon enfance (un peu moins mon adolescence rock & roll) !

Ce sont quelques mois de la vie de Schubert, entre la fin du printemps jusqu’à l’automne 1824 que nous conte Gaëlle Josse. La possibilité d’un amour à portée de main, de coeur et d’âme et son impossibilité à se réaliser.

En 1824, Franz Schubert a déjà composé ses plus beaux morceaux mais reste un compositeur pauvre qui vit à Vienne avec ses amis une vie de bohème qui lui convient parfaitement, sauf ses échecs auprès de ceux qui font la pluie et le beau temps dans le monde musical. Autrement dit les critiques car ses pairs ont reconnu le génie en lui. Aussi quand il est invité à Zseliz, villégiature prisée de la campagne hongroise, chez la riche et haute aristocrate famille hongroise EsterHazy, comme maître de musique, pour la deuxième fois après 6 ans, les deux jeunes filles dont il a la charge ont bien grandi. L’aînée, Marie, 21 ans est déjà une mondaine comme sa mère sans réel intérêt pour Franz, alors que Caroline, âgée de 19 ans, lui a laissé un souvenir timide, portée par l’amour de la musique, par leur jeu à quatre mains pour lequel il a composé nombre de lieds et autres partitions qui sont passées depuis à la postérité. A l’époque il est hanté par « La belle meunière« .

Il n’a que 27 ans et mourra quatre ans plus tard, malade de la syphilis,  il est déjà empâté, transpirant, court sur pattes mais a une âme et une sensibilité de gentleman. Et surtout, il a besoin d’argent après les « bides » de son année 1823. « Sa musique à lui n’est qu’intériorité, tendresse, joie simple et mélancolie, mais il est difficile de renoncer à ces rêves de gloire qu’il vit les yeux ouverts, dans le secret de ses nuits… » (page 24). Aussi, les mécènes que sont les Esterhazy lui offrant le gîte, le couvert et une belle somme d’argent ne se refusent pas. Mais Franz conscient qu’il en a besoin place sa musique avant les mondanités et leurs hypocrisies. Sa musique seule compte, il est habité par elle, écrit sans cesse sur son papier à musique et trouve en Caroline un écho fait de grâce, de mystère et de talent  qui l’envoûte peu à peu. « Franz ne peut penser à une possible idylle avec elle. Leurs noces demeureront secrètes et spirituelles. La vie doit-elle toujours en aller ainsi ? De douleur en déception ? De tendre songe en cruelle réalité ? » (page 60).

Néanmoins, le coeur déchiré, alors qu’il repartira mi-octobre, heureux aussi de retrouver les joies de la liberté de sa vie viennoise, l’écharde est dans son coeur et ne va cesser de grandir puisqu’il composera ouvertement une oeuvre qui lui sera dédiée ainsi que toutes ses compositions à quatre mains. N’y a-t-il pas eu des signes qui ne trompent pas un coeur amoureux pendant cette parenthèse enchantée à Zseliz ? Des frôlements, une main qui s’attarde sur son poignet…mais aussi le vert, la « mauvaise couleur » à chaque fois qui le conforte dans son désespoir solitaire et son destin contrarié (aujourd’hui on dirait mauvais karma). Ou ne devrait-on pas préciser que le désespoir de se voir refuser ses pièces au profit d’auteurs à la mode  le plonge dans des abîmes de tristesse inconsolable.

En donnant vie à une possible histoire d’amour entre Franz et Caroline dont on ne sut jamais rien de la réciprocité, sauf que Caroline ne se maria que 20 ans plus tard et que son mariage fut déclaré nul à sa mort en 1851 ! N’est-ce pas pas un signe de plus qui a poussé Gaëlle Josse à broder sur cette histoire ? Sa plume est toujours aussi aérienne comme les quatre mains fiévreuses de Franz et Caroline au piano lors de cet été suspendu dans la chaleur estivale de Zseliz.  » À la fin de la leçon, Caroline se lève, remercie pour la leçon, prend congé sans un sourire. Franz croise un regard d’une insondable tristesse.Un appel muet qui lui déchire le coeur. » (page 80).

La dimension musicale, historique, le décor de Vienne côté bohème et de Zseliz qui est une démonstration de profusion des richesses brossent aussi un tableau de l’époque qui s’avère passionnant. Je ne dis pas tout, bien que dans l’avant-lire Gaëlle Josse ne laisse aucune place au « suspense », si c’est ce que vous cherchez, passez votre chemin mais malgré cela, on se prend à espérer, à rêver que…peut-être…au dernier moment Frantz enlèverait la sage Caroline à son milieu luxueux…

J’ai lu tous les livres de Gaëlle Josse et avec celui-ci, j’ai l’impression (qui n’engage que moi) que son oeuvre est comme un puzzle inachevé (et inachevable ?) dont elle reconstitue un morceau à chaque livre en parcourant des chemins à la fois familiers et vierges qu’elle s’évertue à rassembler, recoudre. Mais chaque romancière n’est-elle pas un peu la couturière de son âme ? Et je ne peux qu’espérer que le puzzle est loin d’être achevé et que d’autres broderies aussi fines nous attendent…

Merci à Gaëlle pour cet envoi gracieux et fort apprécié. Une lecture que je vous conseille, si comme moi, vous aimez l’Histoire, la musique mais aussi et surtout la petite histoire qui fait la différence…

« Un été à quatre mains » de Gaëlle Josse aux éditions HD ateliers Henry Dougier, sorti le 23 mars 2017.87 pages (trop vite lues). 8,90€. Un très bel objet-livre, ce qui ne gâche rien !

Et pour finir une « Fantaisie pour piano, à quatre mains » qui a dû résonner au-delà des hautes fenêtres du petit palace qu’était la demeure des Esterhazy, soufflant sur la campagne surchauffée de Zseliz ses notes mélancoliques dont les harmoniques résonnent encore au-delà du temps…

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