Mais qui donc est ce « Garçon » dont tout le monde parle ? C’est d’abord un auteur que j’affectionne, Marcus Malte (ICI, LÀ, ENCORE ICI, ICI, et SURTOUT LÀ) et que je félicite d’avoir obtenu le Prix Fémina avant-hier. Prix largement mérité pour ce livre inclassable, merveilleusement (bien) écrit et dont je vais essayer de vous parler. Le résumer est au-dessus de mes forces. Alors oui ce billet est trop long mais c’est comme ça ! C’est aussi une lecture commune avec Noukette, Hélène de Lecturissime et Moglug. Cest également ma participation pour les Matches de la Rentrée Littéraire 2016 orchestrée par Price Minister .
Et c’est plus qu’un coup de coeur.
Ce livre est un pavé de 535 pages, il m’a fallu dix jours pour le lire, le savourer. Ce n’est pas un page-turner qu’on se le dise…même si une fois commencé, on ne le lâche plus.
Le Garçon n’a pas de nom, il pourrait être une pâle copie de « L’enfant sauvage » mais rien de cela. Il restera muet toute sa vie malgré les initiateurs qu’il rencontrera sur son long chemin de solitude, d’épines mais aussi de roses incandescentes. Long chemin parce que l’histoire se déroule entre 1908 et 1938, sur trente ans dont deux années de guerre pour ce Garçon et une guerre dont il ne sortira pas indemne, comme tous ceux qui n’en sont pas morts. Muet ou mutique, on ne sait pas vraiment, à l’inverse de « L’enfant sauvage », il ne sera pas étudié et disséqué. Et c’est tant mieux pour le livre. Et ce silence choisi par l’auteur permet une autre approche, d’autres sensations.
L’histoire est poignante, les digressions sous forme d’énumérations sont criantes et cruelles aussi, mais transcendées par l’écriture de Marcus Malte, les envolées lyrico-historiques m’ont rappelé les délires d’Ariane dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen. Rien que ça. Et je suis certaine qu’il n’a pas tout dit. Mais revenons à notre Garçon.
Il naît dans le sud de la France, dans une zone reculée, une cabane quelque part, pas trop loin de la mer mais pas très près non plus. Le livre s’ouvre sur une nuit noire, le Garçon a 14 ans environ et porte sur son dos celle qui est sa mère mais il ne le sait pas. Sa mère ne lui a jamais rien dit, rien enseigné, ne l’a pas vraiment aimé d’après ce que l’on comprend. ils ont vécu en autarcie, loin du monde et elle veut qu’il l’emmène voir la mer avant de mourir. Il versera ses premières larmes mais pas les dernières. On devine dès les premières pages, l’immense page blanche qu’est ce Garçon, cette glaise brute et intouchée où tout reste à écrire, à modeler. « Tout homme laisse un jour derrière lui son enfance. Il ne la retrouvera pas. Seuls quelques très vieux ou très fous bénéficient parfois de cette seconde chance » (p.39).
Il va faire des rencontres, des gens humbles, une star de cirque déchue mais magnifique, dans un premier temps puis des personnes cultivées, bourgeoises même mais un peu décalées si on les juge à l’aune de la société de l’époque, moi je dirais qu’elles étaient en avance sur leur temps et profondément humaines. Comme Emma. Qui va l’aimer, l’initier et cela nous vaut des pages torrides comme cela faisait longtemps que je n’en avais pas lues, c’est à dire de qualité… Mêler désir ardent et poésie, je n’en connais pas beaucoup qui savent le faire sans tomber très vite dans le vulgaire. » (…) Marche à deux temps, deux battements par mesure, deux pulsations. Largo. C’est le cycle des lunes et des marées. Sac et ressac. La mer à boire, mais de miel, de sirop, un nectar. Et ce lent, très lent va-et-vient dure et dure encore.
Debout devant l’évier. » (p.258). Et encore, ne vous mettre que ce petit bout est réducteur, il ne traduit pas « l’émotion » réelle que l’on ressent.
Mais le saule sous lequel ils s’aiment, où les rayons du soleil éclairent leurs corps en été ne sera plus un refuge…Le 1er août 1914, les cloches carillonnent et ce n’est pas pour un mariage. La Guerre 14-18 vient d’éclater et on sait ce que la Guerre fait aux hommes, même aux plus tendres, même aux plus purs, surtout à eux. Elle leur fait mal et les renvoie changés dans un monde qu’ils ne reconnaissent plus. Eux-même ne se reconnaissent plus, ça y est, ils ont été touchés par la saleté du monde. La guerre oblige à de petites et grandes trahisons avec soi-même dont on a du mal à se remettre. « Ce qui n’a pas été pillé a été détruit ou souillé. La lèpre pousse dans les chambres. Au royaume des déments qui sont les rois ? « (page 423).
Le voyage initiatique du Garçon est loin d’être fini, la guerre est un révélateur du visage de l’Humanité, de ses multiples facettes les moins glorieuses même si l’Homme parfois n’a guère besoin de guerre pour être monstrueux. Je recule toujours devant les livres de « guerre », ici, la partie du livre qui lui est consacrée a achevé de me bouleverser.
Quels seront les ravages sur un esprit pur comme celui du Garçon ? Quelle sera la suite de l’histoire d’amour avec Emma ? Emma la pianiste, la poète érudite qui a tout compris en renonçant à « éduquer » le Garçon, consciente de sa vanité, car au fond, l’éducation nous rend-elle plus heureux ou meilleurs ? C’est aussi je pense une des questions du livre, voire la question : qu’est-ce qui est encore vierge de toute corruption aujourd’hui, de la plus légère, celle dont parle Emma (ci-dessous) à celle qui se joue au sommet de l’État et des Académies prestigieuses ?
» (…). Fatalement cela aurait une influence sur son esprit, sur sa façon d’appréhender le monde et les choses – corruption douce mais corruption tout de même-(…). Quand elle observait, autour d’elle, les êtres constituant la prétendue bonne société, que voyait-elle ?
La civilisation est ailleurs. » (p. 232).
A vous de lire ce chef-d’oeuvre (non je n’ai pas peur du mot), ce livre au souffle épique qui a coupé le mien plus d’une fois (au propre comme au figuré), mélange tous les genres, dans une musicalité de style parfaite, harmonieuse, malgré la cacophonie des obus et les lamentos épistolaires d’Emma pendant la guerre. Le musicien mélomane qu’est Marcus Malte a écrit une symphonie parfaitement achevée. Le livre d’or de la maturité…
Nous avons beaucoup discuté avec Noukette et Hélène hier en faisant nos billets, ce livre nous a vraiment chamboulé. Allez lire leurs billets ! Noukette, Hélène de Lecturissime et Moglug
De nombreuses chroniques ont fleuri que je n’ai pas encore lues, sauf celles de ma LiliGalipette (il y a longtemps) et Yvan (après mon billet) que je vous conseille car vous y trouverez le lien vers une interview de M. Malte (en septembre, avant le Fémina), très édifiante. Et bien sûr l’étude de Mazeppa de Claudialucia (en lien avec V. Hugo et la poésie), dont elle a parlé ICI . Je ne voulais pas trop en savoir avant de commencer ce livre et bien m’en a pris. Recueillis ce matin, les avis de Claudia Lucia, Kathel, Pr. Platypus, Yv, Zazy
et la chronique très « sexy » de Lorentzradfin…
SUR L ‘AUTEUR ???

Photos Soène, Quais du polar 2013.
What else ? Je vous ai déjà tout dit dans mes précédents billets et avec le Fémina, vous apprendrez certainement à mieux le connaître, cet anarchiste bad boy, discret, charmeur et intranquille… ! (ce descriptif n’engage que moi, je tiens à le préciser, j’assume !).
Lien pour poster chronique PM / MRL-2016: http://bit.ly/2cC07yP