Voilà un livre qui a enchanté mon été en quarante étapes, de Tours au départ à Dijon pour l’arrivée en passant par Nantes, Bordeaux, Angoulême, Avignon, Tarascon, Toulouse, etc. Quand on sait qu’Henry James a fait ce voyage il y a plus d’un siècle (1882), et dans des conditions que notre époque jugerait spartiates, dans un temps « où Jules Verne n’avait pas encore inventé les aéroports » comme il est souligné dans l’introduction, nous prenons alors la mesure de la richesse exceptionnelle de ce voyage. Au-delà de la bonhomie de l’auteur (pas toujours), de son oeil exercé quand il le pose sur des classiques d’architecture, il y a un homme cultivé, scrutateur mais surtout « participatif » qui nous emmène dans ses découvertes avec le regard franc d’un enfant devant l’inconnu. Le regard d’un américain débarrassé des clichés habituels, qui plus est.
Henry James a lu très jeune les auteurs français et européens, a voyagé à travers toute l’Europe et est installé en Angleterre quand il entame ce périple. En plus de ses malles qui le suivent en voiture à cheval, en tortillard ou à pied, son « bagage culturel » n’en est pas moins faramineux. Pas une ville où il n’évoque l’histoire, l’histoire des monuments, de la ville, des religions, qu’il mêle habilement à ses réflexions personnelles, à ses impressions, à ses perceptions. Cette culture et son français courant lui permettent de saisir des nuances que bon nombre de français, aujourd’hui adeptes du tourisme rapide sont bien loin d’égaler… Ce n’est pas pour rien que ce Carnet a servi de bible près d’un siècle aux touristes anglais et américains désireux de parcourir l’Hexagone. Sous le ton patelin non dénué d’humour, il insiste parfois sur la nécessité de ne pas brûler les étapes, de prendre son temps et c’est à l’amble du pas des chevaux ou à la lenteur des petits trains que nous suivons ses pérégrinations. Ainsi, quand il arrive à La Rochelle où il s’attendait à rencontrer le Sud, il rectifie : « D’ailleurs il me semble qu’arriver d’un bond dans le midi, s’y réveiller pour ainsi dire, constituerait un plaisir très imparfait. On éprouve ce plaisir dans sa totalité en s’approchant par étapes et gradations, en observant la succession d’infimes changements par lesquels le Nord devient le Sud. Ils sont d’une extrême subtilité, mais l’oeil de celui qui, comme moi, aime vraiment le Sud, n’en laisse échapper aucun. » (P.162-163). Et c’est vrai que rien ne lui échappe, il va à la rencontre des gens, note les auberges soignées en bon épicurien, observe beaucoup les femmes, les femmes « actives » : « C’était une jolie jeune femme, une sacoche accrochée à la ceinture, qui régnait sur la plate-forme (…), elle nous emmena en ville dans un nuage de poussière comme jamais je n’en ai avalé d’aussi épaisse. J’ai déjà eu l’occasion de parler des femmes en France, de leur façon d’être toujours sur la pente ascendante : j’avais là un exemple insigne de leur utilité sociale. » (p.224).
J’ai beaucoup aimé ses trois heures d’escale à Tarascon sur les traces de Tartarin d’Alphonse Daudet qu’il connaissait. Non seulement il fait revivre les lieux où se déroule l’action du livre en l’imaginant à « sa sauce » mais y ajoute la pointe d’impertinence poétique qui fait le charme de ce Carnet de Voyage : « Parmi les autres centres d’intérêt, on trouve d’abord une vive somnolence qui en colore l’aspect, comme si la sieste de septembre qui s’était prolongée en octobre, y durait plus longtemps qu’ailleurs. » (P.264). Mais il n’est pas toujours béat d’admiration, comme à Toulouse qui le déçoit par son architecture et l’ambiance qui y règne, même s’il s’excuse de « son manque de gentillesse » : » L’étrange est que cet endroit soit à la fois animé et morne. Une multitude gens bruns qui remplissent de bruit une ville plate et tortueuse, qui ne produit rien que je réussisse à découvrir » (p.193).
Dans ce carnet, érudit sans jamais être ennuyeux, ce qui est en soi un joli tour de force, Henry James m’a fait l’effet d’un fiancé à la fois transi et indulgent, mais sans concessions face aux milles facettes d’une belle capricieuse parfois, insaisissable ou offerte. Il en a extrait la substantifique moelle chère à Rabelais pour nous offrir un tableau piquant et empli de la douceur de l’automne pendant lequel s’est déroulé ce voyage. Et s’il voulait se conforter dans l’idée au départ que « Paris n’est pas la France », il reviendra avec la certitude que « La France n’est pas Paris ». Délicieusement surrané et encore d’actualité !
Merci à Christelle des Editions Robert Laffont pour l’envoi de ce livre paru dans la très agréable Collection Pavillons Poche!
SUR Henry James : extrait de Wikipedia :
De février 1869 au printemps 1870, Henry James voyage en Europe, d’abord en Angleterre, puis en France, en Suisse et en Italie. De retour à Cambridge, il publie son premier roman, Le Regard aux aguets, écrit entre Venise et Paris. De mai 1872 à mars 1874, il accompagne sa sœur Alice et sa tante en Europe où il écrit des comptes rendus de voyage pour The Nation. Il commence à Rome l’écriture de son deuxième roman Roderick Hudson, publié à partir de janvier 1875 dans l’Atlantic Monthly, qui inaugure le thème « international » de la confrontation des cultures d’une Europe raffinée et souvent amorale et d’une Amérique plus fruste, mais plus droite. À cette époque, il aborde aussi le genre fantastique avec la nouvelle Le Dernier des Valerii (1874), inspirée de Mérimée, avant de trouver sa voie propre dans les histoires de fantômes (Ghost Tales), où il excelle, comme le prouve notamment Le Tour d’écrou (1898).
Après quelques mois à New York, il s’embarque à nouveau pour l’Europe le 20 octobre 1875. Après un séjour à Paris, où il se lie d’amitié avec Tourgueniev et rencontre Flaubert, Zola, Maupassant et Alphonse Daudet, il s’installe, en juillet 1876, à Londres. Les cinq années qu’il y passe seront fécondes : outre de nombreuses nouvelles, il publie L’Américain, Les Européens, un essai sur les poètes et romanciers français French Poets and Novelists, etc. Daisy Miller lui vaut la renommée des deux côtés de l’Atlantique. Après Washington Square, Portrait de femme est souvent considéré comme une conclusion magistrale de la première manière de l’écrivain.
Sa mère meurt en janvier 1882, alors que James séjourne à Washington. Il revient à Londres en mai et effectue un voyage en France (d’où naîtra, sous le titre A Little Tour in France, un petit guide qui servira à plusieurs générations de voyageurs dans les régions de la Loire et du Midi). Il rentre de façon précipitée aux États-Unis où son père meurt le 18 décembre, avant son arrivée. Il revient à Londres au printemps 1883. L’année suivante, sa sœur Alice, très névrosée, le rejoint à Londres où elle mourra le 6 mars 1892.
Ma seconde participation au challenge de Lystig « Vivent nos régions » et une première au « Mois américain » de Titine (même si l’action se déroule en France, l’auteur américain donne son point de vue « américain »)…

