SAGAN, UN CHAGRIN IMMOBILE de Pascal Louvrier


Ou quand Sagan traverse le mur de la légende, à fond la caisse pour faire exploser les clichés avec lesquels elle a dû composer sa vie entière. Une biographie coup de coeur !

Beaucoup de choses ont été déjà dites sur Sagan mais l’auteur nous prend par la main et semble nous dire : « comment cela a-t-il été dit » ? Cette biographie est si bien écrite que je ne savais plus par moments, qui de l’auteur ou de Sagan écrivait. C’est en appui chronologique sur son oeuvre que Pascal Louvrier nous raconte ce qu’il fallait lire entre les lignes de certains livres. Car c’est souvent là qu’on retrouvait Françoise. Le portrait est réaliste, enfin épuré du tapage que son simple nom évoquait. Les clichés y sont MAIS débarrassés de ce qui en faisait (justement) des clichés. La photo est nette !

C’est également une peinture basée sur la psychanalyse, le « Je est un autre » de Rimbaud semble avoir été écrit pour Sagan. De fait, au départ elle est Kiki de Cajarcs, une enfant de la bourgeoisie conservatrice mais enfant non « attendue » et « substituée » à un autre garçon mort en bas âge quelques années auparavant. Immédiatement et à jamais,  elle devient la Kiki à son papa : ce dernier lui passera toujours tous ses caprices, l’incitant même à la transgression, la privant ainsi de repères, de limites et la laissant à vie avec un père « oedipien » sur les bras… Et ce que cela entraîne pour sa sexualité, bisexuelle mais surtout homosexuelle.

En exergue aussi  de ce portrait,  la vitesse, la précocité et la lucidité extrême de Sagan : très jeune elle a déjà compris le sens existentiel de la vie (Sartre est devenu un ami). Elle veut aller vite, jouer, aimer, conduire, parler vite. Tout cela correspondait à  sa nature profonde. Elle ne bafouillait pas comme certaines images le montre, non elle avait déjà entamé une autre phrase.« Son paradoxe pourrait se résumer ainsi : sa lucidité lui a fait quitter le monde de l’enfance mais elle ne peut se résoudre aux adieux tant celui des adultes est insupportable** ». Elle aura du mal à grandir, à prendre les choses au sérieux, à se prendre au sérieux. L’arrivée de son fils Denis la remet  sur le chemin de la bienséance, elle se marie pour lui donner un nom et un père. Elle s’en occupera sans effusions débordantes mais tendrement, elle sera sévère sur les résultats scolaires , entretenant plus une relation basée sur la bienveillante complicité. Sauf pour les bases, les principes hérités de son éducation bourgeoise. « On pourrait penser qu’elle les rejette ces mesquineries de tous les jours, qu’elles sont sources d’asphyxie. Eh bien non,  « elles sont des habitudes précieuses et les bases saines de notre équilibre social. En fait, si leur présence nous est pénible, leur absence serait insupportable.* » Ce qu’elle appelle élégance car elle fuit la vulgarité avant tout Sagan, l’élégance est la politesse du coeur, on y cache aussi ses chagrins profonds…On donne le change et puis c’est inné chez elle, pudeur et élégance ! L’ennui arrive trop vite avec les aubes désenchantées de la trentaine finissante. Il y a eu les accidents, le jeu, la drogue surtout, sa compagne de douleur qui s’est invitée à vie. « Elle ne pourra plus se passer de la drogue, parce que la drogue, c’est la protection pour pouvoir écrire loin de la société du spectacle mortifère ». Et les dettes qu’elle lèguera à son fils. Mais surtout le legs d’une oeuvre inimitable, sensible et subtile car lire d’abord, puis écrire ont toujours été une seconde respiration.  Et comme le dit si bien Pascal Louvrier  :« Mais les journaux s’en vont et les livres demeurent** »… au sujet de Sagan qui « jouait » (souvent) les pipole mais rageait intérieurement quand elle disait qu’elle « travaillait » (tout le monde s’en fichait un peu autour d’elle), écrire ne doit pas être vraiment sérieux ! Et pourtant «  (…) les nuits à écrire, les longues et éprouvantes nuits d’écriture. Périlleuses autoroutes pour échapper au néant.** » Alors certes elle s’est épuisée dans les excès, elle s’est aussi donnée à l’écriture intensément,  et sans son fils aujourd’hui, ses livres étaient sérieusement menacés de ne jamais  passer un jour à la postérité. Personne ne voulait les rééditer à sa mort, il y a huit ans. Il lui ressemble tellement !

Cette biographie de Pascal Louvrier est un hommage dans la mesure aussi où il ne la « gâte » pas outre-mesure, il a compris le paradoxe Sagan et nous rappelle que ce fut d’abord et toujours Françoise, voire Kiki qui étaient derrière… Jusqu’à la fin, où la retrouver l’ombre d’elle-même m’a bouleversée… Si vous n’avez eu que des « échos » sur la vie de Sagan, des échos largement manipulés par les médias, précipitez-vous pour lire cette biographie qui ne la réhabilite pas forcément mais lui rend sa dignité. Et sa vérité.
* et ** : Toutes les citations sont tirées de la biographie et non de l’oeuvre de F.Sagan, sauf celle avec un * où c’est moitié-moitié.

Un grand merci à Lili Galipette pour ce merveilleux cadeau et son billet qui m’a donné une furieuse envie de le lire, allez voir aussi le billet élogieux de Miss Bouquinaix qui en parle très bien

QUI C’EST L’AUTEUR ?

Un  écrivain d’une quarantaine d’années, dirais-je (ça n’engage que moi), auteur de plusieurs biographies : Juppé, Fanny Ardant, Philippe Sollers, etc.
Il parle très bien de son dernier livre, je vous conseille vivement de l’écouter ! Ou d’aller sur sa page FACEBOOK dédiée….

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46 réflexions au sujet de « SAGAN, UN CHAGRIN IMMOBILE de Pascal Louvrier »

  1. Très beau billet Asphodèle. Je n’ai lu de Sagan que « Bonjour tristesse » et je ne « connais » du personnage que la fin de sa vie. Je note cette biographie à la suite de Zelda, Vita…
    Biz

    • Merci Syl, ce billet m’a donné du fil à retordre, il était deux fois plus long (tu me connais^^). Je te conseille vivement « Des bleus à l’âme » de Sagan, un livre-clé pour moi qui en dit beaucoup sur elle…

    • Je ne l’ai pas lu celui-ci, j’ai toujours « Avec mon meilleur souvenir » dans ma PAL « urgente », cette bio va le faire remonter d’un cran !^^ Hâte de lire ton billet…

    • Ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette bio c’est que les mots de l’auteur se confondent presque avec ceux de Sagan, on s’identifie tout autant ! C’est du grand art ! Ce livre te parlera, j’en suis sûre !

  2. Comme Syl, je n’ai lu que Bonjour Tristesse, et par contre je ne sais absolument rien de la vie de Sagan.
    Ton très beau billet me donne envie de me pencher sur le sujet 🙂
    (oui, je reviens doucement, vous lire m’a trop manqué)

    • Contente de te revoir enfin !!! J’espère bien qu’on t’a manqué… Pour toi qui ne connaît rien sur elle, cette bio est idéale, tu auras une vision honnête de qui elle était, servie par une écriture parfaite ! (ce qui n’est pas souvent le cas pour les bios, disons-le !) 🙂 Je peux te la faire voyager si tu veux ?

      • C’est très gentil, mais en ce moment je me contente de noter, mes rythmes et envies de lectures étant très aléatoires et chaotiques !
        Je peux lire trois livres en deux jours, puis ne rien lire pendant une semaine…(ou presque, un jour sans lire n’est pas un jour !)

        • Lire à son rythme et selon ses envies reste la meilleure thérapie !!! Un jour sans lire ne m’est pas arrivé depuis longtemps, je ne sais pas si j’y survivrais !!! 🙂 Bises♥

  3. Coucou Miss Aspho,
    Et bien, tu me tentes aussi 😆
    J’aime ces Femmes qui dérangent… Je l’ai lu il y a longtemps, il faut que je m’y replonge.
    J’adore ces biographies qui nous font passer de l’autre côté du miroir. On y voit plus clair après.
    Gros bisous

    • Tu aimerais cette bio !!! ET elle donne envie de relire Sagan, c’est pas beau ça ! Pour déranger, elle a dérangé…et elle dérangera longtemps car ses écrits étaient visionnaires et restent…intemporels pour certains ! Bises ♥

  4. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai jamais eu envie de lire Sagan après « Bonjour tristesse » (que j’ai aimé pourtant) mais je ne sais pas, tous les sujets de ses livres me font bailler… Le seul que je lirais bien c’est le dernier paru en poche, avec des dessins de Buffet (le titre ne me revient pas maintenant)… Mais une bio, oui, pourquoi pas… Sa vie me semble bien plus intéressante que ses livres… C’était tout de même une femme incroyable !!

    • J’avoue que je l’avais lu très jeune et que j’ai laissé passer du temps avant de la relire, c’est plus subtil qu’on ne le croit ! Pour la bio, je te la conseille les yeux fermés !!!

  5. Coucou. ton article me donne envie de lire…Sagan elle même. Je crois que je vais acheter « Bonjour tristesse » , son premier roman vendu à deux millions d’exemplaire si l’article de Wikipédia ne dit pas de bêtises…et d’ailleurs le seul titre d’elle que je sois capable de citer.
    Bises.

    • Commence par Bonjour tristesse et ensuite si ça te plaît (y’a pas de raison) j’en ai sept en stock à te prêter ou à te conseiller ! Tu vas y prendre goût… Bises

    • L’auteur en parle de cette bio, c’est une femme mais je n’ai pas retenu le nom ! Il faut dire que la « bio » n’est pas mon style préféré d’habitude, d’où mon agréable surprise pour celle-ci !

  6. Ah Sagan.. Quelle femme, quel auteur ! Curieusement, on attrait pour elle a baissé au fur et a mesure de mon avancée en âge ! Au début je l’adulais, pour ses audaces, ses risques, avant de ne voir en elle qu’une jeune bourgeoise qui trompe l’ennui en faisant des conneries toujours plus grosses… Seul me reste Aimez-vous Brahms, et la très belle adaptation ciné qui en a été faite…

    • Certes elle est restée bourgeoise dans l’âme mais je pense que tu en es restée aux clichés comme beaucoup ! 😉 Derrière les « conneries » il y avait un oeil lucide et sans concessions…

        • Même quand on n’en tient pas compte, tous ses romans ne sont pas forcément « éclairants » sur le sujet et j’accuse plutôt la presse et la manipulation de certaines infos qui se transforment en ragots, « à l’insu de notre plein gré » d’ailleurs !! 😀

  7. Nous avions lu une excellente biographie de Dominique Lelièvre sur Sagan, la fin est dramatique quand l’argent vient à manquer, le succès n’est plus là, c’est un épisode particulièrement douloureux, quelle triste fin… Autour d’elle on retrouve Jacques Chazot ou Bernard Frank de droles d’oiseaux… Sagan est définitivement une femme passionnante!

    • Là aussi l’auteur nous parle de ceux qui l’ont entourée : « la bande à Sagan » mais aussi de son fils dont il a recueilli des témoignages sur certains sujets et il nous déconseille (en accord avec Denis) le film de Diane Kurys… Il a bien cerné le « paradoxe » Sagan et oui elle était passionnante, chi** parfois et talentueuse !

  8. J’ai lu dernièrement « Sagan et fils » de Denis Westhoff (son fils) et j’ai beaucoup aimé cette idée d’un point de vue de l’intérieur et qui reste quand même loin de certains clichés qui sont restés. Je te le conseille si comme moi tu aimes beaucoup Sagan!

  9. J’ai tenté de lire L’auberge de la Jamaïque. Je n’ai pas réussi à aller au bout (je n’avais qu’une envie : baffer l’héroïne !!). On m’a dit que Rebecca était meilleur. Je veillerai à prendre une autre traduction.

    • Je ne connais pas d’autres livres, j’ai La maison sur le rivage et Le bouc émissaire dans ma PAL, j’espère que ce seront de meilleures traductions ! Rebecca est devenu un « classique » d’adolescentes enfiévrées, maintenant, certaines choses sont moins crédibles mais allez, gardons une âme de midinette !!! 🙂

    • J’espère bien que tu vas la découvrir ! Rien à voir avec Delphine de Vigan (si ce n’est le « gan » final du patronyme^^). Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut lire Bonjour Tristesse, écrit à 17 ans, je l’ai fait mais il y a 1 an et demi j’ai relu quatre livres et j’ai commencé par Dans un mois, dans un an, puis 3Les merveilleux nuages », « Le lit défait » et enfin  » Des bleus à l’âme » qui reste pour moi son meilleur, c’est un roman-essai (baptisé ainsi par la presse), moi je le vois comme un roman-confidences et semi autobiographique, il explique beaucoup de choses sur elle… Mais bon, tu peux toujours aller dans AUTEURS DE A à Z et lire les chroniques de mes débuts sur cette grande dame !

  10. J’ai terminé « un chagrin de passage », est-ce que tu l’as lu ? Ce n’est pour moi pas le meilleur Sagan, mais comme toujours on passe d’agréables moments en sa compagnie…

    • Non je n’ai pas lu celui-ci ou alors il y a longtemps ! Ceux que j’ai lus et pas chroniqués sur le blog sont : Aimez-vous Brahms , Un orage immobile, et d’autres certainement… Sinon dans ma PAL me restent « Avec mon meilleur souvenir » et « Les Faux-fuyants« . Pascal Louvrier dans cette bio, admet qu’elle a fait certains livres…limite mais affirme que même dans un mauvais Sagan il y a une fulgurance qui rachète le livre (ou quelque chose qui veut dire ça !^^)… Si tu veux lire cette bio, tu me le dis et je te la fais voyager, tu as mon mail ? 🙂

  11. Alors que je viens de lire Sagan et fils, je tombe par hasard sur ton billet en surfant sur la toile (en fait, il n’y a pas de hasard…). Je note bien sûr ce titre qui va si bien à F. Sagan !!!

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