DÉCADENCE…


Il est ridicule avec son chapeau melon Monsieur Plout, mais il n’en a cure. En revenant du Palais-Royal où se tenait la soirée de la Comtesse de Berteuil, il se dit que décidément, il déteste la laideur, la vulgarité et les femmes de petite vertu. Il a bu de ce vin de champagne pour oublier les quelques regards méprisants de ces nobliaux qui, s’ils n’admettent pas sa roture, sont sensibles à la musique métallique des louis d’ors qui fredonne dès qu’il ouvre la bouche.

En sortant, il est passé par les toilettes, il n’a pas pu résister… il ne devrait pas mélanger avec… il n’a plus le temps, ça le reprend. C’est incontrôlable… Il marche dans la nuit, les réverbères s’allument un à un sur son passage déversant de l’eau claire dans les flaques sombres. Il titube, les yeux pleins d’embruns glacés mais la pluie qui est tombée juste avant cache, gomme, efface. Il parle tout bas pour lui, litanie, psaume, pelote dévidée de son âme en lambeaux. Un jeune homme le heurte, se retourne et lui crache :
–         Hé, regarde où tu marches, pauvre con.
–         Toi, fille… pas là…marmonne-t-il tout bas.
–         Oh là tu me cherches ! insiste l’ado au visage vérolé d’acné purulent.
Mr Plout ne lutte pas, quand il lui tord le bras, il se contente de lui jeter un regard vide, un regard qui lui fait froid dans le dos, noir, dur et surtout vide, deux mares sombres qui semblent ne rien voir ; il s’empresse de le lâcher et bafouille piteusement :
–         La prochaine fois, tu t’excuseras, vieux tordu !
–         Toi, fille…  pas là, répète-t-il inlassablement, mécaniquement.
Il ne l’entend déjà plus, le bitume brillant ressemble au sang noir qui coule dans ses veines, le sang retiré, la mort qui s‘insinue peu à peu, et lui déboulonne le cerveau.

Dans le flou qui lui serre la gorge, il distingue à peine l’enseigne d’un café encore allumé et se précipite à l’intérieur. Il  ne regarde personne, il n’y a pas foule, juste quelques allumés qui attendent que la nuit s’éteigne pour aller dormir enfin, loin de leurs peurs, réelles ou imaginaires qu’ils noient dans un ultime verre.
–         Vous désirez monsieur ? lui lance le patron en essuyant un verre déjà rutilant.
–         Toi, verre, liqueur, parvient-il à ânonner.
–         Ah mon p’tit monsieur va falloir m’en dire plus, aboie-t-il. Tout en contournant son zinc, il s’approche de lui, les deux mains sur ses hanches rebondies. Il penche la tête pour essayer de croiser son regard baissé, son regard éteint. Il lève enfin son visage mutilé et face à l’horreur qu’il y lit, il s’empresse de crier :
–         Robert, amène une prune pour le diable, je crois que ça va le remonter.
–         Ça ne va pas, vous avez besoin d’aide ?
–         Toi, pas là, toi laisser…toi…
–         Oh oh, doucement, hé, je crois qu’on va appeler les urgences psychiatriques, il n’est pas tout seul l’oiseau de nuit !
–         L’oi…seau …mourir…
–         Ouais c’est ça et moi je vais me jeter dans la benne à ordures, tu t’appelles comment ?

 Le mutisme persistant, le regard loin derrière son épaule, les mots incohérents, ce type décidément  a perdu la bobine qui dévide le fil de sa vie. Il compose le numéro des urgences, explique ce qui se passe mais avant qu’il n’ait fini, Monsieur Plout a disparu.
Il  sort  précipitamment,  regarde à droite, à gauche avant de voir une forme allongée près du porche. Il court aussi vite que son ventre le pousse en avant et pousse un juron. Les yeux révulsés, tournés vers le ciel crasseux, le bâtard roturier, le camé aux bras bleus, là où le sang s’est figé a jamais, n’a pas eu le temps et  la politesse de le saluer en soulevant son chapeau. Il avait pourtant l’air distingué malgré son état…

C’était ma participation au jeu de Leiloona, sur une photo de Kot ! Clic sur le logo pour les explications de l’atelier et clic sur la photo en haut ou sur Kot pour visiter sa galerie sur FlicK’R…

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41 réflexions au sujet de « DÉCADENCE… »

      • C’est vrai que tes textes sur les couples ne sont pas de tout repos ! 😉
        Mais ici, ça change, ce ne sont pas des relations amoureuses et/ou conflictuelles.
        J’aime ce changement d’atmosphère. 🙂

        • Oui je suis bien d’accord avec toi, les études psychologiques des caractères est plus compliquée que le « noir » finalement ! J’aime changer de registre de temps en temps ! 😉 Mais c’est vrai que ça me vient plus facilement d’après une photo… 🙂

      • C’est terrible, je ne peux toujours pas déposer un commentaire, après le dernier com… je ne peux que répondre quelque part…
        Et bien, Aspho, tu es prête pour l’étition 2012 de Quais du Polar !
        C’est aussi beau que c’est noir sur la photo 🙂
        Ca va à part ça ?…
        Bisous

        • On ne va pas viser si haut pour commencer hein ! 😆 Et pour les comms je ne sais plus quoi te dire, car tu es la seule (tu m’étonnes :lol:) à me dire ça, ça ne viendrait pas de ton « abonnement » WordPress ? Sinon ça va pas plus mal ! Bisous 🙂 (ça me tracasse ça de te savoir à la porte des commentaires !) (va falloir que je me penche sur la question !)…

        • Ca fait rien tant que je peux te répondre chez quelqu’un !
          Mais je te réponds pas chez n’importe qui 😆
          Je crois que c’est un tour de ceux qui me surveillent dans ma tour, plutôt… faut que je regarde comment ça fait de chez moi… faut que je pense aussi à te dire un truc… et ben, faut que je me nettoie la cervelle pour faire de la place 😉

  1. Si un allumé qui attend que la nuit s’éteigne lit ce texte ce soir ou un autre soir, je suis certain qu’il lui procurera malgré tout une lueur d’espoir….il verra que sa vie n’est si noire que celle de ton Monsieur Plout…

    • C’est sûr qu’il y a toujours pire pu plus désespéré mais de qui parles-tu quand tu dis « allumés » ? 😆 Et il y a les désespérés de naissance mais ce sera pour une autre histoire !^^

  2. La déchéance vécue pas à pas. Eh ben, et j’ai failli louper ça !

    (Tu n’étais pas dans les spams, du coup je n’arrive pas à savoir où serait parti ton premier commentaire. Les mystères du net ! 😉 )

    • Bah oui mystère car j’ai cru qu’il était passé, c’est de ne pas te voir ici qui m’a mis la puce à l’oreille 😆 Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave ! 😉 Le texte t’a plu, c’est le principal !

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