LE LIT DÉFAIT de Françoise Sagan (1977)


OU QUAND LE BONHEUR REJOINT LA PASSION…

 

 

 

 

 

 

Roman écrit en 1977, soit vingt ans après « Dans un mois, dans un an » d’où elle exhume deux personnages secondaires, Edouard Maligrasse et Béatrice Valmont mais en situant l’action cinq ans après leur rupture… Pour notre plus grand bonheur !

Edouard Maligrasse ne croit pas à sa chance quand le hasard le remet en présence de la « belle et violente » Béatrice et surtout s’étonne de l’aimer comme s’il n’avait pas souffert, prêt à endurer à nouveau les tourments que sait distiller la belle : jalousie, infidélité, indifférence affichée et assumée et j’en passe. L’action commence et finit dans une chambre aux draps bleus, aux rideaux bleus, à la moquette bleue, Béatrice dormant, le bras replié sous sa nuque sous l’oeil amoureux d’Edouard.

Il eût été ennuyeux de passer 300 pages dans cette chambre à regarder se prendre et se déprendre ce couple improbable au départ mais qui va gagner en densité au fil du récit. Et c’est mal connaître Sagan qui encore une fois, en profite pour laisser parler Françoise à la fois par la bouche d’Edouard qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau depuis qu’il est devenu un auteur de théâtre reconnu, « théâtre intellectuel » aux prises avec ses doutes quant à son talent en ce domaine et par celle de Béatrice, antipathique, énervante, capricieuse mais intelligente (elle a lu Proust, Paul Valéry et beaucoup de Série Noire) et qui sait se montrer attendrissante quelquefois…entre deux sorties mondaines obligatoires et deux amants facultatifs. Car c’est bien de théâtre dont il s’agit dans ce roman, le théâtre d’auteur,  et celui de  Béatrice, désormais célèbre actrice « de boulevard », deux mondes qui s’opposent mais se rejoignent dans les mêmes codes du snobisme parisien. Les deux « théâtre » en prennent pour leur grade : celui d’auteur où huit cents mondains s’ennuient en se pâmant comme les dix critiques accourus voir la dernière pièce à la mode, incompréhensible mais vitale pour alimenter les dîners en ville.  C’est Béatrice, sortie de rien, qui réhabilitera (un peu) ce théâtre de boulevard boudé de l’intelligentsia par son talent réel qu’elle découvrira,  mêlé à sa « vocation » d’actrice. Et chacun ne veut mélanger sa partie à celle de l’autre, en cela bien résumée par le triste Jolyet que l’on retrouve ici atteint d’un cancer en phase terminale, il fraternisera avec Edouard pour le « protéger » de Béatrice en disant à cette dernière : « Il y a une grande différence, c’est que toi, en jouant, tu cherches à t’oublier. Alors que lui, Edouard, en écrivant, il cherche à se trouver. De plus, toi (…), tu as des échos, des preuves immédiates de ton talent : les silences de la salle et ses bravos, tu as des plaisirs immédiats et physiques, sensuels même, qu’un écrivain n’a jamais. Sauf parfois, à l’aube, quand il a l’impression de découvrir ce qu’il savait déjà, mais c’est un plaisir abstrait et inconnu des autres. »

En se cherchant, le timide et un peu fade Edouard (malgré son charme), cherche aussi à garder Béatrice telle qu’elle est, libre, sensuelle, infidèle et féroce. Un jour, alors qu’elle le trompe une nouvelle fois, voici ce que l’auteure (Béatrice) en pense :  » Car c’était bien la seule circonstance où un homme et une femme se retrouvaient à égalité, puisque soumis à la même délicieuse nécessité : celle de se rejoindre. » Ce jeu du chat et la souris n’est ni blanc ni noir chez Sagan, mais tortueux, douloureux pour celui qui aime toujours plus que l’autre. Alors certes, Béatrice est théâtrale, ne sachant jamais quel « jeu » elle doit adapter à la situation mais la témérité, la persévérance et les ruses  d’Edouard, son amour sincère et gratuit (valeurs qui lui sont totalement inconnues) viendront à bout de sa carapace  surjouée.  Son succès mondial et l’argent qu’il gagnera ne seront peut-être pas tout à fait étrangers à cette reddition…L’amour aussi :  » (…) ; Edouard, abasourdi, chancelant de bonheur, pensa très vite qu’il ne pourrait jamais, au grand jamais, s’habituer à elle, ni par conséquent se déshabituer de l’aimer ».

MON SENTIMENT…

J’ai eu un peu peur au départ, au début de la passion réciproque (si si) des deux amants de m’ennuyer, et très vite, à l’image des bolides qu’elle affectionnait tant, Sagan nous entraîne dans le tourbillon parisien habituel, plus axé sur le monde du théâtre mais très intéressant en faisant même un clin d’oeil à « L’orage immobile », roman qu’elle ne publiera  qu’en 1983 et qui, dans le livre, est une pièce à succès… Enfin, quand les sentiments des deux amants terribles glissent vers le bonheur à deux et non plus à trois comme le concevait aisément Béatrice, ne se privant pas de tromper Edouard sous son nez, on y retrouve la Sagan des « Bleus à l’âme », elle s’épanche par la voix d’un des deux, certes, mais on sait qui nous parle et on aime entendre inlassablement cette petite musique qui décidémment n’arrive pas à rayer bien que le disque ait été mis plusieurs fois sous le vieux saphir… « Comme si la mémoire était, tout autant que l’intelligence, délibérement insoumise aux mouvements du coeur ».

Nota bene : ceci était ma quatrième participation dans le cadre du Challenge Françoise Sagan organisé par George et Delphine.

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26 réflexions au sujet de « LE LIT DÉFAIT de Françoise Sagan (1977) »

  1. comme toujours les titres des livres de Sagan déclenchent en moi une envie de savoir ce qui s’y cache ! la photo Harcourt ne me plaît pas trop, je trouve que ça ne ressemble pas à Sagan !

    • Il s’y cache de jolis mots !! Quant à la photo, je trouve que le regard est bien rendu et une certaine tendresse en émane, malgré le style Harcourt !!^^Et elle correspond mieux à la maturité de ce livre…

  2. Ce que je découvre dans la redécouverte de l’oeuvre de Sagan, c’est son admiration pour Marcel Proust qui est finalement omniprésent dans son œuvre. Admiration qui semble la rendre modeste dans son écriture, et on peut se demander si le style Sagan, si sa phrase n’est pas une réaction à celle de Proust, elle ne veut surtout pas se mesurer à lui car au fond elle pense ne pas lui arriver à la cheville…
    Modeste aussi, en lisant son œuvre selon sa chronologie, on note une progression comme si chaque roman est un apprentissage, déjà « dans un mois, dans un âme » son troisième roman il y avait un contenu plus riche plus de personnages mieux construits que dans les précédents, déjà un hommage à Proust où le salon de Alain et Fanny pouvait être vu comme un clin d’oeil au salon des Verdurin…
    Ici je vois trois cents pages, elle prend de l’épaisseur, j’aime beaucoup chez elle cette modestie cette façon d’avancer à petits pas, d’apprendre à dominer à chaque écrit cet art si complexe du roman, dans le même temps elle reprend des personnages de précédents romans comme chez Balzac, Proust ce qui semble montrer une réelle volonté de construire une œuvre littéraire, un ensemble cohérent.
    Ce qui nous démontre que l’ambition littéraire n’empêche pas la modestie.

    • Tout à fait d’accord, il y a toujours un clin d’oeil à Proust dans tous les livres que j’ai lus jusqu’à présent et dans celui-ci, en se glissant dans la peau du timide et modeste Edouard, elle remet en question (peut-être) son oeuvre théâtrale et du coup son statut d’écrivain tout court…

    • Excellente idée ! J’en ai chroniqué trois autres et je te conseille de commencer par « Dans un mois, dans un an », il se lit vite et on a déjà une bonne idée de son style !!

        • D’autant qu’une fois celui-ci lu, Sagan reprend ses personnages dans 3les merveilleux nuages » et deux autres dans  » Le Lit défait »., si tu es séduite tu peux les lire dans la foulée !! Et pourquoi pas t’inscrire au Challenge chez Delphine ou George ? Il va jusqu’en 2012 et un livre suffit !! 😉

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  4. Et bien voilà. Je l’ai eue ta chronique,Asphodèle.Belle et structurée, avec cette connaissance qui ressemble à une reconnaissance tant elle vient de l’intérieur.
    Tu vas très vite devenir une référence littéraire…
    Bravo et bises.Pierre
    Commentaire d’un ami vivant en Nouvelle-Calédonie et qui ne peut accéder au blog, je lui envoie mes chroniques et il tient à ce que ses commentaires figurent. Imaginez le copier-coller que j’ai dû faire !!

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